[Event] Fêtes de fin d'année sur Kanasa

Je passai donc mes premiers instants dans cette réception à observer Wolfgang picorer les différents mets du buffet. Je me laissai tout de même tenter par une mignardise : un chou miniature, recouvert d’un glaçage extrêmement sucré coloré en rouge et fourré d’une crème pâtissière au chocolat.  Mon compagnon paraissait ravi d’être ici, d’autant plus qu’il y avait de quoi manger, et son engouement déteignit un peu sur moi. J’esquissai un sourire déraisonnable tout en promenant le regard aux alentours alors que les dernières miettes de la pâtisserie chutaient dans mon gosier.

Pourtant, il n’y avait pas grand-chose de réjouissant autour de moi. Certes, le décor était beau mais il n’était qu’un écrin vide. Beaucoup étaient venus ici simplement pour se montrer, ou bien pour pouvoir dire qu’ils y étaient. Certains, je le lisais sur leurs visages, regrettaient déjà d’être venus parce qu’ils étaient incommodés par les actes inconsidérés des quelques trublions dont la simple présence suffisait à pimenter la soirée. L’attitude de ces derniers n’en était pas moins grotesque.

J’étais en train de m’essuyer les doigts avec distinction quand mon cavalier me rejoignit enfin, ayant achevé de remplir sa panse au buffet. Il s’empara de l’une de mes mains. Sa peau était un peu plus chaude que la mienne. J’arquai un sourcil alors qu’il formulait sa demande. Il voulait apprendre à danser ? Le sourire se renforça sur mes lèvres. Je n’avais jamais été une grande danseuse mais je connaissais quelques pas.

-Pourquoi pas, lui répondis-je d’une voix espiègle.

J’élevai doucement nos mains liées, tendant un peu plus les bras tout en les conservant légèrement fléchis. Je plaçais son autre main sous mon omoplate et posai la mienne sur son épaule, relevant légèrement le coude afin que nos bras s’emboîtent. Nos corps gardaient entre eux une distance respectable. Il ne s’agissait pas de faire compliqué, mais simplement de s’évader de cette fête où le luxe côtoyait vraisemblablement le vulgaire, comme c’est par ailleurs souvent le cas. C’était pour lui que j’étais venue, après tout.

- Je mènerai la danse, laissez-vous faire. Lorsque j’avance un pied, reculez le vôtre.

Je mis lentement mon pied droit en avant, sans hâte, lui laissant le temps de retirer son pied gauche. Il était hors de question de lui marcher sur les pieds, cela lui ôterait tout goût pour la danse. Je décalai le pas suivant sur le côté, avant de ramener mes pieds ensembles, nous faisant ainsi décrire un petit cercle. De ma main posée sur son épaule, je m’efforçai de le guider au mieux afin qu’il comprît l’enchaînement des pas. Nous dansâmes d’abord sur place, puis je complexifiai l’opération en essayant de progresser à travers la salle.

Cela ne fut pas simple car mon cavalier était maladroit ; probablement était-ce normal puisqu’il débutait. Il peinait à ajuster son pas sur le mien, qui n’était pourtant guère rapide, et il manqua plusieurs fois de me piétiner. J’esquivai toutefois assez habilement. Fort heureusement pour lui, je suis de nature patiente et je pris les choses avec humour, riant gentiment de ses fausses manœuvres. L’objectif n’était pas de le ridiculiser, mais plutôt de faire en sorte qu’il prît cela avec légèreté.

Je fus étonnée de constater que Wolfgang avait retiré ses lunettes, me permettant ainsi de croiser ses prunelles dorées et d’y lire les émotions qui les traversaient. Ses mains glissèrent sur mes hanches, abandonnant la posture traditionnelle de la valse et il me complimenta, avant de me glisser quelques mots doux. N’ayant jamais été particulièrement fleur bleue, j’appréciai cette attitude sans pour autant en être subjuguée.

Les douze coups de minuit résonnèrent autour de nous, ne me laissant pas le temps de répondre par la parole à mon cavalier. Il y avait quelque chose de magique dans cette mise en scène, et si je n’avais pas déjà tant vécu j’en aurais probablement été ensorcelée. Après que le dernier coup eut retentit, Wolfgang poursuivit sa déclaration. Je l’écoutai attentivement, ne le quittant plus du regard. Depuis les premiers instants de notre rencontre, il y avait toujours eu comme un trouble en nous, quelque chose d’indescriptible et de perturbant auquel je n’étais jamais parvenue à donner du sens.

Il me souhaita un joyeux Noël, ne me laissant pas le temps d’ouvrir la bouche pour répondre puisqu’il approcha aussitôt son visage du mien. Un frisson me parcourut l’échine. Il allait m’embrasser. Déjà, je sentais la chaleur de son souffle heurter la peau de mes lèvres. Tout cela avait-il un sens ? Était-ce bien raisonnable ? Ces questions ne me tourmentèrent pas pendant longtemps : j’en avais envie, et c’était tout ce qui importait. Je ne pouvais pas nier que j’étais attirée par lui. Ne vous méprenez pas, même s’il y avait incontestablement un aspect romantique dans la façon dont les choses s’étaient passées entre nous, je n’éprouvais pas d’amour à son égard. Il était bien trop tôt pour ce sentiment. Il ne s’agissait là que d’un puissant désir auquel je n’avais aucune raison de ne pas céder, et je fermai donc les yeux dans l’attente de son baiser.

Le baiser ne vint jamais. Il renforça brusquement son emprise sur moi, faisant preuve d’un manque de délicatesse qui jurait avec le comportement qu’il avait adopté jusqu’ici. Là, cette bouche qui devait baiser la mienne s’ouvrit grand, dévoilant des crocs scintillants qui se plantèrent dans la chair de mes pommettes.  Je tentai en vain de le repousser. Je hurlai. La douleur se propagea rapidement. Mes mains se crispèrent sur ses vêtements. Je ne pouvais me sauver toute seule. Il allait me tuer, à moins que quelqu’un dans la salle ne se décidât à voler à mon secours.

Je n’en sus rien de toute façon car très vite je perdis connaissance, assommée par la douleur et par l’effroi. Ce fut le néant.